“Urgence” débridée , hyper connexion et hyper information bombardent nos sens à longueur de journée. Or l’un des premiers organes à être sollicité par cette stimulation permanente est l’amygdale (celle du cerveau limbique). C’est elle qui gère les informations liées à la peur et aux émotions. Elle est identifiée comme étant à l’origine du processus de procrastination et des stratégies d’évitement qui vont avec. Nous allons naviguer loin, bien loin de l’image de fainéantise qui est encore associée à la procrastination et aborder un moment les rives de l’hypersensibilité.
Et, surtout, sentez-vous à l’aise, tout le monde procrastine, à un moment donné, sur un sujet donné.
Eclaircissement sur la procrastination
Il fut un temps (lointain) où la procrastination était valorisée : celui ou celle qui pouvait se permettre de prendre le temps de reporter ses décisions était soit un sage, soit une personne qui avait de l’argent et n’avait donc pas besoin de décider en courant.
Chez un individu ou dans une organisation deux formes de procrastination peuvent donc cohabiter :
- Une procrastination choisie et active : je remets à plus tard parce que je le décide. Je procrastine alors “à dessein” : je prends du recul ou je décide d’agir plus tard en sortant du mode réflexe* / inconscient / “urgent”. C’est une stratégie utilisée, entre autre, par les “multiplicateurs” qui optimisent au maximum l’utilisation de leur temps pour démultiplier les effets.
- Une procrastination passive ou subie : je remets à plus tard parce que je suis rentré.e dans une stratégie d’évitement que je ne maîtrise pas. Et là c’est subtil parce que le cerveau est le champion des stratagèmes.
Procrastiner n’a donc pas de connotation négative en soi. Il s’agit simplement de repousser au lendemain.
Cela peut être voulu et même souhaitable, à dose modérée, notamment pour développer sa créativité.
A noter aussi que le mot “procrastination” était peu utilisé avant le 19e siècle et sa fameuse révolution industrielle. Tiens donc !
Rappel sur le fonctionnement de la procrastination
Les étapes du processus de procrastination “subie”
Une demande (Work Begins) va être perçue comme une MENACE (très important pour la suite). Elle va déclencher des stratégies d’évitement (Fuck Off) pendant lesquelles une personne, ou une organisation, va éviter de réaliser le travail demandé ou nécessaire en utilisant son temps à tout autre chose (les procrastinateurs sont productifs, mais pas sur le sujet demandé). S’ensuit une phase de panique (Panic) à l’approche de la deadline (Deadline), puis la réalisation du travail dans des conditions “critiques” (All The Work While Crying) .
Menace ? Vous avez dit menace ?
Mais qu’est-ce qui, de nos jours, peut encore être perçu comme une menace ? Vous allez être surpris/e, beaucoup, beaucoup,… beaucoup plus de choses qu’on ne l’imagine.
Car oui, un devoir de math, une demande appuyée de descendre la poubelle, ou de faire des changements dans le fil rouge de l’animation de votre prochain atelier peut être vécu comme une potentielle “menace” ! Et entraîner de magnifiques stratagèmes d’évitement (N’hésitez pas à partager des pépites dans les commentaires, je vous en prie !).
Liste (non exhaustive) de facteurs qui peuvent déclencher la procrastination dans nos vies professionnelles / personnelles :
- Une tâche motivante — voire le graal — qui active un manque d’estime de soi, aussi bien liée à la peur d’échouer, qu’à la peur de réussir. C’est aussi le moment où le perfectionnisme trouve parfois judicieux de vous rendre une petite visite.
- Un projet assez conséquent et/ou complexe quand il est perçu comme un bloc monolithique. Impossible alors de le détailler le projet en tâches activables et à les hiérarchiser pour trouver par quoi commencer.
- Un désintérêt (monumental) pour la tâche / mission à accomplir.
Soit parce que celle-ci est bien en dessous de vos compétences, soit parce qu’elle manque totalement d’intérêt et/ou de sens pour vous (nous avons une étiquette pour cela maintenant : le brown-out) - Un tâche monotone et répétitive que vous n’aimez pas, une demande qui arrive au dernier moment et qui vous met sur la sellette …
- Un demande de changement, une interruption, même simple ou petite, surtout si elle est insistante
- Plusieurs de ces options qui se combinent créant un super-bloquant
Vous pouvez rajouter à cela les informations majoritairement anxiogènes qui arrivent à longueur de journée sur les téléphones portables (news, mails, tweets etc…), les infos sur le marché du travail où il n’y a plus de travail, ces injonctions à trouver sa voie ou mourir, à être heureux, à trouver le bonheur…et pour les citadins, les sollicitations des panneaux publicitaires qui leur rappellent tout ce qu’ils devraient acheter et consommer. Ca n’arrête pas, …en fait.
Tout cela vient surcharger nos sens, et titiller notre amygdale (cérébrale) qui gère tout ce qui nous préoccupe*
Adieu la fainéantise, bonjour la peur, l’ennui et l’influence de l’environnement !
Votre collègue de bureau a peut-être un poil dans la main, mais, si à l’approche de la date de remise du dossier il ou elle se réveille et appuie fortement sur la pédale d’accélération, je pencherais plutôt pour de la procrastination.
Si c’est le cas, il va falloir se poser d’autres questions.
« Mais qu’est-ce que l’urgence a à voir la dedans ? », me demanderez-vous…
Des millions d’années d’évolution, et c’est toujours notre cerveau reptilien qui est aux commandes.
Dans le post précédent je proposais une prise de recul sur l’” urgence” et même le T.T.U (Très Très Urgent), et je mentionnais ceci :
Dans les pathologies de l’urgence on retrouve : la dépression, la corrosion du caractère, le burn out, les désordres psycho somatiques, les désajustements temporels.
Des symptômes que l’on retrouve (en partie) à la suite d’une trop forte sollicitation de l’amygdale cérébrale. Coïncidence ? Je ne crois pas.
L’amygdale cérébrale permet de déterminer ce qu’il y a dans notre environnement immédiat et d’adapter notre réponse sachant ce qu’il y a.
Cela englobe les potentielles menaces, mais aussi tout ce qui nous préoccupe.
Pour le Dr Luiz Pessoa* (Director, Maryland Neuroimaging Center et auteur de The Cognitive-Emotional Brain: From Interactions to Integration (MIT Press) “l’amygdale travaille sur la valeur de survie pour l’organisme au regard des informations. Sachant que selon ses recherches “l’attention des sujets à certains aspects de leur environnement va déterminer ce qui rentre ou non dans l’amygdale”.
Le souci, c’est que notre amygdale est toujours régie comme s’il était encore possible de voir surgir un tigre dents de sabre au coin de la rue ou du couloir du bureau. Que ce ne soit pas possible ne lui fait ni chaud, ni froid.
Combien de fois avez-vous “flippé” pour une situation que vous aviez élaborée de toutes pièces ? (la magie de notre cerveau capable d’élaborer des représentations mentales sophistiquées et totalement inutiles).
“C’est Urgent !” est une menace, simplement parce que vous pouvez percevoir cette injonction comme une menace !
La procrastination “passive”* — quand la décision de remettre au lendemain n’est pas choisie mais subie — est une réponse de fuite face à une tâche vécue comme une menace. Nous sommes dépassés par notre mode limbique qui prend la main et court-circuite littéralement notre accès au raisonnement (situé dans le cortex). Nous passons alors en mode réflexe — à l’insu de notre plein gré, en quelque sorte.
Nous allons alors tenter de réguler en allant chercher des activités qui nous font plaisir et qui vont générer un afflux de neurotransmetteurs : la dopamine (associée au plaisir et à une potentielle récompense) et aussi — et surtout, selon moi — au shoot d’adrénaline juste avant la date buttoir.
La répétition de ce qui relève du réflexe peut se muer en habitude : même stimulation (ou identifiée comme identique) même réponse..
Au passage, l’actualisation de vos fils de médias sociaux, les notifications, etc.sont des dealers de dopamine. Si vous êtes sans arrêt en train de les consulter et de tout interrompre quand vous avez une notification, vous êtes peut-être accroc à votre shoot (comme si vous preniez de la coke, en fait !).
Les hypersensibles plus affectés par l’urgence et la procrastination
L’amygdale des hypersensibles — tout comme celle des altruistes — est plus développée et réagit beaucoup plus facilement aux stimuli extérieurs. Face à un environnement perçu et jugé comme agressif et épuisant (bruit, bavardages, odeurs, compétition, manque de sens, se présenter en networking…) les hypersensibles — surtout ceux qui se méconnaissent — auront tendance à se retrouver en “hyperstimulation”.
S’ensuit un besoin de réguler qui, s’il n’est pas conduit par le cortex-contrôle, peut se transformer en réaction de fuite, combat ou inhibition.
Dans le mécanisme de procrastination, aller chercher des activités satisfaisantes (qui apportent de la dopamine) reste un bon moyen (instinctif) de réguler ou de retrouver un niveau de stimulation acceptable, ou d’éviter la sur-stimulation.
Rappelez-vous que l’ennui et le manque de sens peuvent aussi provoquer la procrastination, qui vous donne alors des informations précieuses sur l’état de votre job ou votre vie ! Quant à la procrastination par manque d’estime de soi, elle est certainement très familière aux multipotentiels super-équipé d’un sentiment d’imposture.
Rajoutez à cela l’ “urgence” qui vient taper, elle aussi, sur l’amygdale et ,“le compte est bon”.
Notre société “moderne” produit donc ce qu’elle finit ensuite par critiquer. Tout autant qu’elle crée les conditions pour que les profils les plus “réceptifs” et aussi les plus sensibles et créatifs se grillent dans des environnements non adaptés — alors qu’elle leur demande d‘être de plus en plus d’être “créatifs”.
Autrement dit, nous ne sommes pas loin de la schizophrénie ! Ou de l’injonction paradoxale !
Vouloir changer de culture serait vouloir gravir la face nord de l’Everest à main nue. Changer le climat est plus accessible, mais ne peut se faire sans “empowerment”.
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POUR ALLER PLUS LOIN
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NB : A la lecture de cet article, je vous invite à la nuance et à suspendre votre envie de juger et de ranger les personnes dans des boites avec des étiquettes dessus ! Ces réactions sont subtiles et complexes à la fois. La sensibilité de notre amygdale et les réponses qu’elle génère sont modulées par l’environnement dans lequel nous avons vécu, les difficultés que nous avons surmontées et si nous avons suivi un entrainement. Aucune personne ne réagit de la même manière et il est heureusement tout à fait possible de modifier en partie la réponse que l’on apporte à une situation. Ça demande un peu de travail, cela dit. Et de préciser qu’il suffira que quelque chose vienne perturber le fonctionnement du cortex-contrôle pour que la partie limbique reprenne le dessus. Le mode essai — échec — bienveillance — est notre ami.
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Notes
*Au mois d’octobre j’ai animé une conférence sur le thème de la procrastination pour les Entrepreneurs Evolutionnaires (70 personnes).
*L’introversion relève du tempérament (fonctionnement physiologique)et pas du caractère (comportement), à ne pas confondre avec la timidité, donc
* Luiz Pessoa, The Cognitive-Emotional Brain: From Interactions to Integration (MIT Press)
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